18 avril 2012

Le cuistot de la semaine, Orloff et Elsa


Par Le Barde


Il pleuvait sans cesse sur Bègles ce soir-là. C'était un temps déraisonnable. La raison est ensoleillée.  En hommes raisonnables, les castors gagnèrent le trou plus tôt que de coutume. 
Dans le quartier des Capucins, entre la gare et la Victoire, fleurissaient les mets de Titi. Ils avaient un goût d'Isabelle.  
Nous étions bien peu. Mais le peu est un bien s'il consacre les purs.  Et les purs étaient là, les purs étaient à table, de Pépé à Croucrou.
Lorsque la table fut garnie, Titi s’exclama : Et ma vie au bout du compte se résume au nom d'Isa. Il y a de l'Aragon chez Titi. Et de l’Isa dans sa cuisine. 
Jamais entrée ne fut plus délicate. Une terrine de carotte et une terrine de poireau nappée d’une sauce à damner tous les saints, une sauce Isa que l’on réserve d’ordinaire à l’alose. (Ah ! L’alose à la sauce Isa !). Comme nous étions peu, nous en prîmes beaucoup. Le peu se fit l’ami du trop. Et c’était bien. Il y avait, cela va de soi, quelques boîtes de Lou Gascoun. Une pincée de tradition, en somme, un zest, un soupçon. 
Alors vint le veau Orloff. Pour mémoire, les ingrédients du veau Orloff :
• Un rôti de veau (la taille dépend évidemment du nombre de convives)
• Du fromage type fromage à croque monsieur, kaşar (fromage turc qui fond à la), de la mozzarella (mais ce peut être un peu fade) et la raclette soit trop forte. 
• Des tranches de bacon (à remplacer par un produit équivalent si vous ne pouvez manger de porc.)
• Une barde (à demander à votre boucher ou à récupérer sur votre rôti lorsque vous l’achetez emballé.)
• Poivre/très peu voire pas de sel car le fromage et le bacon sont déjà bien salés.
• Huile
Pour accompagner le veau slave, un gratin dauphinois al dente. Les tenants de la cuisine ancienne y allèrent de leurs remarques superflues. Le gratin désormais sera al dente ou ne sera pas. Titi fut parfait au lancer d’assiettes. Seule la première rencontra le sol faute de mains à la hauteur. Après Lou Gascoun, une touche de tradition encore : la cancoillotte. La cancoillotte est une spécialité fromagère à la texture onctueuse et légèrement liquide à base de lait de vache caillé, pour sa fabrication, il faut faire du metton (lait de vache écrémé, caillé et pressé) puis le fondre avec du beurre, conditionné en pots de 30 g à 5 kg. Le nom, attesté depuis la fin du XIXe siècle, provient de la coille, dérivé franc-comtois du verbe cailler, et désigne donc le petit lait obtenu après extraction de la crème dans le lait, ce qui en fait un fromage très pauvre en matières grasses (de l'ordre de 5 %). 
En dessert, des fraises baignant dans un vin rouge (du Jean-Phi of course) agrémenté d’une liqueur de framboise de Bourgogne (un clin d’œil délicat aux racines de notre pinson). Elles furent servies dans des tasses à café et nappées de Chantilly. Un régal doublé d’un plaisir enfantin (la chantilly). Désormais, je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses dit Donatien en baudelairien qu’il est. Puis, les castors retrouvèrent la nuit grise et pluvieuse. Ils s’en moquaient. Le cœur léger et le ventre lourd, ils ruminaient des pensées heureuses.

Je suis certain qu’en rentrant à Quinsac, près de la belle endormie, Titi lui murmura : Je vais te dire un grand secret, le temps c’est toi. Et qu’Isa lui répondit : Et rien d’autre en moi ne dure que ce que tu murmures. Oui, il y a de l’Aragon dans Titi et de l’Elsa dans Isa.

11 avril 2012

Le cuistot de la semaine, l'art de la table

Par Le Barde (faute de gueule du cuistot, sa table et ses piquillos)


Je n’étais pas à Musard mardi. Je peux donc rendre compte de ce qui se passa sous le pré. Je sais seulement que le pré fut bref, faute de lumière. La lumière, de toute manière, elle était au trou où Walid était de service.

La table est un art ; Walid est son Matisse. Certes, Matisse privilégiait le bleu. Encore qu'il eut sa période fauve. Walid, lui, il aime le rouge et le blanc ; c'est affaire de drapeau. Walid, il est libanais. Ainsi avait-il disposé sur la traditionnelle nappe blanche que les vieux étalent avec tant de grâce chaque mardi,  une nappe rouge. Et le cèdre me dira-t-on ? Le cèdre, il gisait dans la salade. Car la table était servie lorsque nous pénétrâmes dans le trou. Dans chaque assiette blanche, trois piquillos rouges étaient délicatement assemblés autour d'un bouquet de salade illustrant le vert qui sied au cèdre. Il y a du cèdre dans la salade (l’inverse n’étant pas vrai), n’en déplaise aux botanistes à la noix.
Walid, il est graphiste, il sait agencer les formes : signes ou mets. Walid sait y mettre les formes en somme. C’est pour cela qu’il est Waaaaaaaaaaaaaaaaaliiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiid. Quant au long cornichon assorti d'un petit oignon, j'ignore ou feins d'ignorer ses sources.

La ratatouille n’est pas familière au pays du cèdre. Ni le porc. Walid osa pourtant l’une et l’autre. Le porc n’était pas du mouton, n’en déplaise à Jean-Philippe. Le porc était en jambons. Deux jambons de porc pour une tablée fournie. Et beaucoup de ratatouille. C’est dans la ratatouille que l’on fait le bon porc chuchota Loulou encore tout chamboulé par son périple chinois (Nous eûmes d’ailleurs droit à quelques photos de Guillaume. Nous exigeons un reportage.) Pioupiou y allait de son os, comme Charlot de sa canne. Sauf que Charlot, il n’a jamais rongé sa canne alors que Pioupiou il ronge souvent son os à défaut de son frein.

Le lancer d’assiettes fut d’une rare perfection. Du moins à ses débuts. D’une main fine et précise, Walid dardait les précieuses écuelles vers des mains accueillantes. Nous étions loin du bombardement du tarbais. Il arborait une mine satisfaite, Walid, certain de ne jamais rater sa cible. Las, du côté des vieux, ce fut la bérézina. Quant à Seb, il vit son verre se faire décapiter sans que la moindre goutte ne salisse sa chemise immaculée. Chapeau le libanais. 

Pour le fromage, bien qu’inquiet quant à ses effluves douteuses, Walid réussit son coup. Mais c’est surtout du dessert dont il était fier. Une crème au lait surmontée de chocolat. Une crème de maître. Une crème d’enfant. Les enfants sont nos maîtres, c’est bien connu. Il était tout guilleret Walid et nous si gloutons. Surtout Croucrou. Croucrou, il aime la crème. Et il lançait des regards énamourés au Walid de son cœur. Il y avait quelque chose de très tendre dans ce regard. Rien à voir avec celui de Charlus pour Morel. Non, c’était un regard pur, un regard d’enfant. 

A défaut de What Else, le toulousain servit le café. C’est bien quand il y a le toulousain. Et sous une nuit chagrine, les castors regagnèrent leurs pénates.

07 avril 2012

Le cuistot de la semaine, un sacré poulet

Par Le Barde


Le printemps a mis un bémol à ses ardeurs estivales. Disons que le printemps s'est réconcilié avec les normales saisonnières. Nul ne lui en tiendra rigueur s'il ne goûte pas l'inattendu. Nul ce pourrait être un prénom, un prénom à la con si, d’aventure, son porteur ne goûte pas l’inattendu. En tout état de cause, on peut en tenir rigueur au printemps lorsqu’il s’en tient à ses habitudes. Sauf si on naît nul.
Léo faisait son retour. Aux oubliettes les tracas de cet appendice taquin : le ménisque. Passes à l'aveugle, accélérations sauvages et folles. Léo est de retour et le Tarbais est sorti du trou. Ça gambadait allègrement et sans diatribes. C'était bon. Croucrou était irrésistible. Au printemps, « l'homme contemple le charme de l'année,/Attentif à la perfection. » (Hölderlin).

Au 1, rue de Bègles, Nanard concoctait ses bienfaits. Les bienfaits de Nanard sont abondants et suaves. En première offrande, un foie gras divin qui connut les joies d'un porto blanc. Et de petits bouts de pain grillés qui attendaient avec impatience l'abat plein de grâce. Je songeais alors à la feuille immaculée s'apprêtant à attendre les alexandrins et autres octosyllabes de Verlaine.

Il faut savoir demeurer dans sa basse-cour. C’est pourquoi Nanard y alla de son poulet embroché. Il est bon le poulet embroché de Nanard. D’autant qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère Nanard question proportion. Chacun d’entre nous eut ainsi le loisir de déchirer de ses dents barbares une moitié au moins du petit de la poule. Personne ne s’en priva. Il y avait quelque chose de gaulois et d’irréductible dans cette régression qui n’est, au demeurant, qu’un retour de l’histoire. Sur les pommes de terres au four, coupées en deux, rien à dire. Les choses simples ont toujours un petit supplément d’âme lorsqu’elles sont faites avec grâce. Il faut savoir goûter la grâce des choses ordinaires. Sinon, la vie n’est qu’ennui. Que Nanard soit loué pour avoir enchanté le petit de la poule et ses poussins de castor.

Bien sûr, bien sûr, le lancer d’assiettes fut parfait. Un golfeur de cette trempe, un si éminent tennisman et, surtout, un artiste de la béchigue ne pouvait se dérober à ses talents. Comme chaque année, Nanard nous gratifia d’un camembert au four qu’il nous appartenait de répartir sur de petits bouts de pains grillés aillés. Nanard, il aime les petits bouts de pain grillés. Enfin, il nous gratifia d’une buche au chocolat. Glacée de surcroît.
Enfin ? Non, pas tout à fait car Bernard mit un terme à ses bienfaits  par son traditionnel champagne. Car Bernard toujours officie le jour de sa naissance. Il est comme ça Bernard, généreux lorsqu’il salue le temps qui passe. C’est sa manière à lui de faire la nique au temps.

Une bonne nouvelle : Jacky était de retour. Et le café itou. Jacky ne boude plus et c’est bien. Un mardi sans What Else n’est plus tout à fait un mardi.