26 avril 2014

Le cuistot de la semaine, inconditionnel du radis

Le Barde



On m'a dit que le toucher de mardi fut un régal. Que la petite douzaine d'officiants s'en donnèrent à cœur joie. Que le ballon fusait sans cesse, que les redoublées et croisées se succédaient comme à confesse. Que le cœur et les cannes y étaient, que les bisbilles étaient rares, et pour tout dire inexistantes, que Dudu avait recouvré sa jeunesse. Un bain de jouvence en somme. 

On m'a dit qu'Hamilton avait bien fait les choses. Qu'il n'y eut pas une ombre au tableau. Que le repas était le digne prolongement du pré, et que notre Cartier Bresson avait été végétarien mais sans plus, qu'il fit ce qu'il faut de concession à la chair pour offrir de la bonne chère (expression venant du latin cara, « visage, face » qui ne prend son sens actuel qu’au XVIIe siècle et signifie faire bonne figure, ou être aimable ; son homonymie doit beaucoup à son extension culinaire.)

Ainsi y eut-il en entrée, une salade composée où ne manquaient ni le radis, ni le raisin, et ce qu'il faut de foies de volailles pour carnasser un peu ce meli melo de fraîcheur. Le radis allait de soi pour cet inconditionnel du CAB et le raisin de même pour ce disciple d'Ausone. Quant au foie de volaille, je laisse libre cours à votre imagination. 

Le plat principal était l'archétype de savoir faire et du savoir vivre. De la farce mitonnée, enfarinée, revenue dans un peu d'eau avec des asperges. J'imagine qu'elles étaient blayaises. Appelez ce plat comme il vous convient. Moi, je ne puis qu'en pressentir les fumets, les douces éffluves, et m'en rassasier par défaut. Ce qui est, peut-être, une qualité. Je ne sais. 

Rien à signaler côté lancer d'assiettes. Alain a la main sûre en bon photographe qu'il est. Quant au dessert une salade de fruits, fraises, bananes, oranges, avec un rien de Montbazillac. Notre homme est bergeracois, ne l'oublions pas Et cette petite touche sonnait comme un paraphe.

Nul doute que la nuit fut bonne aux heureux récipiendaires des bienfaits d'Hamilton. Moi, je dormais depuis belle lurette, bercé par le chant des grenouilles du marais du Logit. Rien qui puisse me dispenser, cependant, de louer le digne descendant de La Boétie. Fût ce en usant du mentir vrai cher à Louis Aragon. Nul n'est besoin d'être présent pour être là. 

20 avril 2014

Jean-Bernard nous a marché sur la tête




03 avril 2014 Etape du jour : Lobuché - Gorak shep - Camp de base de l’Everest - Gorak shep

Six heures du mat, j’ai des frissons. Température dans la chambre -5° m’annonce Daniel mon binôme nocturne. Bof, on commence à être habitués. L’épaisse couche de glace à l’intérieur des vitres de la fenêtre nous empêche de voir à l’extérieur.

Nous préparons nos sacs et retrouvons Prakach notre guide, Patrick et Pierre, nos deux autre acolytes pour le petit déjeuner. Un coup d’œil à l’extérieur nous fait découvrir un paysage totalement pelliculé de blanc. Une mince couche de neige recouvre toutes choses mais le soleil se lève dans un ciel vierge de tout nuage.

Un hélicoptère se pose à quelques encablures de notre Lodge. Il dépose deux personnes et repart après quelques minutes sans avoir arrêté son rotor. Après un décollage en rase motte, il plonge dans la vallée et disparaît à nos yeux faisant s’envoler une escadrille de corbeaux dérangés par ce bruyant confrère.

Après un copieux petit déjeuner, standardisé sur le mode, café ou thé au lait, pain Népalais, miel, nous prenons le chemin de Gorak Shep que nous atteignons deux heures quinze minutes plus tard. Le Buddha Lodge nous accueille. C’est le dernier asile au bout de la vallée de l’Everest, un peu plus au nord, c’est rapidement le Tibet. Le plafond et les murs du dining room au milieu duquel trône l’inévitable poêle à bouse de yak séchée, sont tapissés de drapeaux, t-shirts, photos et autres bannières, témoignage du passage de leurs détenteurs. Je me dis que c’est peut-être là que j’épinglerai le fanion de mon Club, on verra !


Nous prenons une bonne Rara soup, excellente spécialité locale composée de bouillon de poule avec des nouilles,  avant de repartir en direction du camp de base. Nous progressons dans notre ascension, entourés de géants de roche et de glace, fascinés par leur beauté, intimidés par leur majesté mais attirés par le défi, puisque ils sont là. Cela fait la troisième fois que nous passons les 5300m en quatre jours mais l’exercice est toujours aussi éprouvant dans cet air raréfié. L’eau gèle dans la pipette de nos Camel-bags, celle des gourdes est agrémentée  de paillettes de glace qui craquent sous la dent. C’est je dois le reconnaître, pour ma part, avec une certaine émotion que nous atteignons le point symbolique du camp de base dont les tentes jaunes posées à même la moraine glacière nous apparaissent en contrebas.

Bien sûr notre performance reste modeste quand on pense à ceux qui s’attaquent à ces monstres qui nous entourent. Le plus haut et le plus connu d’entre eux, l’Everest, Sagar Matha pour les Népalais, n’est pas, pour les spécialistes, le plus difficile. Nous sommes malgré nos efforts et nos quelques mérites au pied d’une montagne de défis incomparables pour atteindre ces sommets. Surmonter ces difficultés implique un engagement extrême allant parfois jusqu’au sacrifice. Je pense à ce Canadien aux allures d’Hemingway croisé la veille à Lobuché, ayant perdu la quasi-totalité de ses doigts des deux mains, j’imagine ses pieds, et qui revient obstinément relever de nouveaux défis dans ces montagnes qui lui ont tant pris. Les pertes en vies sur certains sommets on ému les autorités Népalaise au point de les interdire. Le Machapuchare qui culmine à « seulement » 6993m n’a jamais été gravi jusqu’au sommet. Il a été rebaptisé Montagne sacrée et interdit par les autorités. Nous devons, demain, gravir le Kala Patthar situé au sud ouest, pas loin de nous et plus haut de 200m, mais l’endroit ou nous sommes est symbolique, c’est le Camp de base d’où partent toutes les expéditions aux destins heureux ou tragiques.


Nous nous congratulons au pied de l’amas de roche enguirlandé des couleurs Népalaises, qui marque l’endroit. En ce lieu magique mes pensées s’agrégent autour de ma famille qui, bien sur, s’inquiète pour moi mais est heureuse de me voir réaliser mes projets, mes amis, mes proches. Je tire de mon sac le petit fanion qui représente l’autre partie de ma famille, mes frères Archiball. La question que je me posais sur l’endroit où j’allais laisser le blason de mon club n’a plus d’objet, sa place est là, c’est évident. Dans ce site grandiose qui symbolise l’éphémère et l’éternel, mon petit fanion finira par partir en lambeaux au fil du temps, il est curieusement intégré et particulier. Intégré car il a les mêmes couleurs que les guirlandes de drapeaux dont les Népalais se servent pour orner les sites remarquables. Bleu pour le ciel, blanc pour l’air, rouge pour le feu, vert pour le cosmos et jaune pour la terre. Drôle de coïncidence me direz vous, je n’en crois rien. Le destin dans la grande cohérence  de son projet universel a prévu depuis longtemps que certains sommets devaient se rencontrer. Je veux croire que dans une sorte de boucle logique, il a pour ce faire guidé nos aînés dans le choix de ces couleurs et attendu que je me rapproche du plus près que je puisse pour saluer ceux d’entre eux qui s’en sont allés, quelque part, quelques étages plus haut et qui nous observent avec bienveillance. Je ne suis que l’instrument de la réalisation de cette évidence. Je leur fais un clin d’œil, j’espère qu’ils sont fiers de nous.

Il ne me reste plus qu’à choisir l’endroit ou placer mon fanion. J’opte pour le fixer sur la couleur verte, celle du cosmos, qui est, il faut bien en convenir le lieu de résidence d’un certain nombre d’Archiball. C’est de là que nous venons et c’est l’endroit où nous repartirons tous un jour ou l’autre. Il nous faut être patients pour arriver à fixer l’image du toit du monde qui se refuse à nous derrière un flux constant de nébulosités. Nous nous apprêtons à repartir quand un petit gars du Tennessee avec lequel j’ai échangé quelques mots un quart d’heure plus tôt, entame un striptease pour se faire photographier en caleçon, sûrement à la suite d’un pari. Il se positionne donc au meilleur endroit, c'est-à-dire juste à coté de mon fanion. J’imagine une des personnes à laquelle il enverra la photo à Memphis ou ailleurs, zoomant sur ce petit truc à la fois pareil et différent à coté de son copain. Elle pourra peut-être lire  « Archiball Bordeaux » tapera ces deux mots sur un moteur de recherche  et tombera sur notre blog. Tous les jours, des quatre coins du monde, quelques dizaines de personnes se font photographier à cet endroit.


La mousson viendra bientôt, submergeant de neige ce lieu mythique. Mon petit fanion résistera-t-il pour une saison supplémentaire, il me plait de le croire. Peu importe, il aura accompli son destin qui n’était pas de finir à la poubelle après avoir été épinglé aux murs surchargés d’un Lodge du bout du monde. Nous revenons sur Gorak Shep la tête pleine d’images grandioses et le cœur chargé d’émotions. La fin de la journée et la partie de carte du soir ont, même sans bière car la journée de demain est encore costaud, ce goût d’après match, suite à une victoire arrachée à un adversaire méritant et quand on a le sentiment d’avoir joué, juste.

JB - QLCVP

11 avril 2014

Le cuistot de la semaine, l'homme qui chuchote à l'oreille des frigos

Par Le Barde


« Ce soir on a comme un air de printemps » écrivait Jean Ristat dans son Ode pour hâter la venue du printemps. Vous me direz qu’il n’est pas difficile d’avoir un air de printemps lorsque l’on est au printemps. Les choses ne sont pas si simples. Parfois, le printemps a des relents d’hiver. Mardi soir, le printemps avait un air de printemps malgré un vent un peu frisquet. Le printemps, pour ceux qui sont à l’automne de leur carrière a beaucoup de charmes. Non, « l’hiver saison de l’art lucide » comme le versifiait Mallarmé n’a pas encore fait sa besogne. Et c’est tant mieux pour les vieux cons dont je suis avec JP, Dudu, Hamilton et Guitou. Les vieux cons ont encore les dents longues même si les cannes sont moins alertes. Un peu de technique, un regard, une sautée, et l’affaire est dans le sac. Les vieux, ils donnent la becquée à leurs petits, becquée sous forme de passes, de transmission en somme. Comme un don avant le retrait. 


La partie fut bougonne, brouillonne, mais bon enfant. La Piballe y fut pour beaucoup. Il est vrai qu’il navigue encore entre deux âges. Pas Jean-Phi. Jean-Phi, il fait sans arrêt des allers et retours. En sorte que l’on ne sait plus trop où il est. A force d’être partout, il est nulle part. Du grand art. Il crée une variété de rugby, le rugby nomade. Alors que Régis, il reste à sa place. Walid, lui, il est éternellement jeune. Il fit un cadrage débordement d’école sur un loupiot. Du très grand art. Quant à Léo, ses passes dans la course sont un modèle du genre. Du très, très grand art. 

Benoît était de bouffe. Pas de chichis. Une salade de pâtes en entrée avec des lamelles de saucisse de Strasbourg ou d’ailleurs d’une extrême finesse, des tomates et bien d’autres choses. Un clin d’œil sicilien bien que très lointain. N’importe. Après, un ton plus exotique avec du porc au curry et son incontournable riz. L’épice était riche. « Putain tu n’y es pas allé avec le dos de la cuillère lui asséna Lolo. » « On a le curry qu’on peut » lui répondit Benoît en bon bénédictin du trou dont tout un chacun sait qu’il s'attache à une famille monastique et s'engage à incarner dans leur vie l'esprit de la Règle. Le bénédictin est un cénobite : il vit en commun. Le trou rassemble des personnes qui partagent le même idéal et les habiletés de chacun y sont mises au service de tous pour construire une communauté. « Que viennent foutre les bénédictins dans ta prose  au curry me rétorquerait certainement Perdigue ». Rien, et d’ailleurs, c’est d’ailleurs à cela qu’on les reconnaît comme le Très Haut reconnaît les brebis égarées qu’il accueille dans son infinie mansuétude. Je suis sûr que notre conseiller municipal d’Apercé partage mon point de vue. 

« Et il y eut des éclairs, des voix et des tonnerres, et il y eut un grand tremblement de terre, tel qu'il n'y en avait jamais eu de pareil depuis que les hommes sont sur la terre; il n'y avait pas eu un pareil tremblement de terre, aussi grand » est-il écrit dans l’Apocalypse. Comment ne pas puiser dans ce texte admirable dont la Jacouille est si familier pour évoquer le lancer d’assiettes. J’aurai pu, il est vrai m’en tenir au déluge. Mais c’est l’Apocalypse qui traduit le mieux ce que nous vécûmes. « Qui est semblable à la bête et qui pourra combattre contre elle? » dit Pépé. « Pas moi lui répondit What Else sous la table. En ajoutant, mon Dieu prenez pitié de moi. » Alors Lolo dit : « Ne soyez pas faible! N'ayez pas peur! Bien que beaucoup d'événements redoutables arrivent, sachez que Dieu a le contrôle et je suis votre Dieu. » « Tu n’exagères pas un peu » lui dit Amélie. 

Le fromage dissipa l’enfer que nous venions de subir. Le Pyrénées était exquis. Et la confiture bienvenue. La paix recouvrait le trou. De tendres tartes à la fraise s’épanouirent sur la nappe. Benoît arborait une mine satisfaite ; ce n’était que justice. What Else, comme d’ordinaire, s’affaira au café. 
Une nuit printanière nous attendait. Me vint alors cette phrase de Flaubert : « La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. » 

03 avril 2014

Le cuistot de la semaine, le douanier d'avril


Par Le Barde


Ce premier avril n'était que douceur.  Il y avait du monde sur le pré. Les premières courses se déployaient entre chien et loup. Heure d'été oblige. Et c'était bon. Amélie qui n'aime rien tant que la douceur était là. Les petits jeunes étaient au rendez-vous. Quelques vieux aussi, et Walid, la pibale qui navigue entre deux âges, Luc, Bernattchate, Gwen, el Pulpo, Régis, Don, etc. Pas de JB. JB tutoie les sommets himalayens.

Message de JB :

Le fanion des Archiball flotte sur le camp de base de l'Everset. Imaginez vous que les couleurs du Népal que l'on voit accrochées partout sur les sites remarquables sont exactement les mêmes que celles de notre petit fanion. Le bleu pour l'eau, le blanc pour l'air, le rouge pour le feu, le vert pour le cosmos et le jaune pour la terre. J'ai accroché notre fanion sur le vert (le cosmos) qui est le lieu de résidence d'un certain nombre d'entre nous. C'est l'endroit d'où nous venons tous et où nous repartirons de toute façon. J'essaie d'envoyer des photos mais... Merci pour vos encouragements. A bientôt

Mais la surprise, c'était la présence de Blair Connor himself. Inutile de vous dire que Guitou le prit dans son équipe. Et que son équipe gagna. « J'ai répondu à l'invitation d'Hervé Cambo. On se croise à Musard. C'est un super éducateur », dit-il dans un français parfait.

La partie fut bon enfant. Avec quelques chamailleries dictées par une interprétation partiale de la règle. Quelles règles d'ailleurs ? Peut-être est-il tant d'écrire les Tables de la Loi. Il y eut beaucoup d'essais, de jolies passes et beaucoup de vent. Surtout de la part du surfer australien. Au grand dam de Gwen, admiratif mais dépassé. Dudu, lui, ne cessait de dire « Le rugby, c'est simple » en couvant des yeux l'ailier de l'Union. Professionnalisme oblige, Connor ne nous suivit pas au trou. N'importe.

Au trou, le douanier s'y collait. Walid avait parié sur le risotto, moi sur la morue. Jérôme joua sur les deux tableaux. Mais au préalable, prenant en compte les prémisses de l'été, il servit un parfait gaspacho de tomates agrémenté de petits croûtons.

Vint ensuite un osso bucco de poisson, c'est du moins ainsi qu'Hamilton baptisa le poisson mêlé (saumon et merlu) ceint de je ne sais plus quoi et soigneusement ficelé. Un régal ! Le tout accompagné de riz. Et voilà comment le douanier satisfit les hypothèses de Walid et de ma pomme. Le trou était aux anges. Et le douanier esquissait un sourire discret et fier. Le douanier a le triomphe modeste et le poisson abondant.

Le lancer d'assiettes fut confus et terrible. Le douanier n'excelle pas dans cet exercice. Un fracas de tous les diables emplissait le trou ; les assiettes tombaient à gravelotte. Gwen, victime d'un éclat fut blessé au bras. Sa chemise était maculée de sang. Le douanier n'en avait cure et poursuivait sa besogne avant de servir le fromage. Le dessert fut sublime. Un gâteau à la crème ponctuée de fraises. Avec une framboise en guise d'œil. Du très grand art. A sa manière, le douanier célébrait le 1er avril. Les castors étaient repus. Et les vieux heureux. Une nuit attendrie accueillit les castors. Les étoiles au ciel faisaient un doux froufrou.